Les enjeux de l’éducation en maternelle
Nous n’en sommes pas toujours conscients mais « Les acquis obtenus en maternelle sont fondamentaux pour la suite. C’est pour cette raison que l’école est devenue obligatoire à 3 ans. » m’informe mon premier invité du blog Christophe Lécullée.
Rencontre Exclusive : Christophe Lécullée, expert de l’école maternelle et de la littérature jeunesse
La maternelle a toujours suscité beaucoup de questionnements. Vous-mêmes sûrement, vous vous êtes déjà posés mille questions comme peut-être :
A quel âge a lieu la rentrée scolaire en maternelle ? Quelles sont les différentes classes en maternelle ? Quel est le rôle des professeurs des écoles en maternelle ? Qu’apprend-on à l’école maternelle ? Quels sont les liens entre l’école maternelle et la littérature jeunesse ? Comment étudie-t-on un livre en maternelle ? Quels sont les bienfaits de la lecture à haute voix ? Quel est le rôle des albums jeunesse dans l’apprentissage de la lecture ?
Pour répondre à ses questions, j’ai fait appel à un expert de l’école maternelle et de la littérature jeunesse : Christophe Lécullée, professeur des écoles, maître formateur en école maternelle et élémentaire dans le Val-de-Marne, et aujourd’hui, professeur à l’INSPE (Institut national supérieur du professorat et de l’éducation). Il est également conférencier, auteur d’ouvrages professionnels et de notices/dossiers (1) et travaille pour le ministère de l’Éducation nationale sur les programmes.
C’est parti !
Christophe, à quel âge a lieu la rentrée scolaire en maternelle ?
Les enfants entrent en maternelle de manière obligatoire à l’âge de 3 ans. Lors du dernier quinquennat, il y a eu un changement d’obligations scolaires qui est passé de 6 ans à 3 ans. L’école maternelle est devenue obligatoire. Des enfants de moins de 3 ans rentrent à l’école maternelle dans certains cas particuliers notamment dans les secteurs défavorisés. Cela concerne environ 20 à 25 % des enfants de moins de 3 ans.
Quels sont les différentes classes en maternelle ?
En maternelle, on distingue 2 parties sur 3 niveaux. Il y a une partie des petits de la maternelle que l’on appelle les petites sections qui sont sur des classes spécifiques, ce sont les enfants de 3 ans jusqu’à 4 ans. Et on a un groupe d’enfants qui sont de moyenne section et de grande section qui sont les 4-6 ans.
Pourriez-vous nous expliquer quel est le rôle des professeurs des écoles en maternelle ? Quels sont les domaines d’apprentissage ?
La fonction est celle d’enseignement avec une vision éducative par rapport au développement de l’enfant en tant que petit enfant. Mais la spécificité de l’école maternelle c’est de pouvoir enseigner ce qui est au programme de l’école maternelle.
Dans le programme actuel, il y a une partie plus éducative sur le développement des petits enfants et la manière dont ils mémorisent les choses , l’importance du jeu et la manipulation dans les apprentissages, le respect de leurs besoins essentiels, naturels, cultuels et affectifs. Et puis de l’autre côté, l’enseignement de cinq grands domaines qui sont la priorité absolue. La maîtrise de la langue d’abord orale et puis tout doucement écrite. On va en parler puisqu’on va parler littérature, puis les activités physiques, les activités mathématiques et puis tout ce qui concerne les sciences, les arts, etc…
La spécificité des enseignants de maternelle, par rapport à des centres de loisirs ou à des éducateurs, c’est de travailler sur des contenus pour apprendre des choses et que les enfants en soient conscients. Un exemple. Quand un enfant a joué à un jeu de loto de vocabulaire pour apprendre les fruits et les légumes, lorsqu’il rentre chez lui et qu’on lui demande » Qu’est-ce que tu as fait aujourd’hui ? » il va répondre « J’ai joué au loto parce que je suis en train d’apprendre les fruits et les légumes. » et non pas « J’ai joué au loto. »
Le rôle d’un enseignent en maternelle c’est de faire comprendre à l’enfant pourquoi il est à l’école, à quoi ça sert, qu’est-ce qu’il doit apprendre et pourquoi il est là. C’est une des difficultés rencontrées par les enfants en maternelle. Ils subissent quand on ne leur explique pas les choses. Ceci s’ajoute au travail d’enseignement des apprentissages des contenus qui sont définis par les instructions officielles.
Vous écrivez dans votre ouvrage édition Hatier « Au cœur des Albums » (2) les outils de la maternelle – moyenne section et grande section (parution 2020) « A l’école maternelle, la littérature de jeunesse est au cœur des pratiques de classe » . Comment étudie-t-on un livre en maternelle ?
Les livres sont très présents à l’école maternelle parce que les enseignants ont souvent des formations plus littéraires que scientifiques et sont très attachés à cette littérature. Historiquement, la littérature de jeunesse s’est énormément développée au cours du 20e siècle. Elle a intégré l’école notamment avec des éditions comme l’école des loisirs etc…Et les enseignants de maternelle sont friands d’albums. Ce sont des supports qui sont très attirants pour les adultes comme pour les enfants.
Ensuite, il y a de véritables enjeux. On a trois grands enjeux par rapport à la littérature, à l’école en général pas qu’à la maternelle. Le premier c’est construire une culture. C’est-à-dire sortir de l’école avec une bibliothèque mentale d’ouvrages étudiés, d’éléments qui seraient de tradition comme le petit chaperon rouge . Quand on dit culture littéraire, c’est la littérature orale et écrite. Il y a une grande production littéraire actuellement. Les enfants rencontrent des auteurs adaptés à l’école maternelle, des auteurs classiques comme Claude Ponti ou à Tomi Ungerer ou des ouvrages pour plus petits comme ceux de Jeanne Ashbé. Le but c’est qu’ils aient rencontré des auteurs, des livres, des motifs littéraires .
La deuxième chose c’est qu’ils aient rencontré les usages de la littérature. C’est-à-dire développer avec eux le plaisir de lire et le goût de lire qui est un enjeu essentiel. On se rend compte qu’à la fin de l’école primaire certains enfants commencent à abandonner une lecture personnelle, le passage au roman notamment. Les enfants continuent à lire des BD. Les BD et les mangas font partie de la littérature . Le passage à des lectures plus longues est un obstacle pour certains enfants.
Il faut aussi développer les usages culturels : avoir des livres autour de soi , les utiliser, en emprunter à la bibliothèque, échanger avec ses camarades. « Ce livre m’a plu » « Ce livre ne m’a pas plu ». Développer toutes ces postures culturelles centrées sur l’habitude d’avoir un livre à coté de soi, d’en abandonner un si ça ne nous intéresse pas, de lire mille fois si on en a envie et de connaître des auteurs.
Et le 3e enjeu, c’est l’apprentissage de la compréhension puisqu’un enseignant va apprendre à un enfant à comprendre. Comprendre ce n’est pas quelque chose qui se fait comme ça . Avant les années 2000, on travaillait beaucoup sur la démocratisation du livre et après on s’est dit qu’il fallait apprendre à comprendre. Le livre que vous citiez tout à l’heure (ndlr « Au cœur des Albums », livre de Christophe Lécullée ) y répond . Quels sont les éléments de compréhension qu’on va travailler avec l’enfant ? Comprendre ce qu’est un personnage. Comprendre que les personnages ont des émotions, des motivations, des états mentaux. Comprendre ce qui est de l’ordre de la causalité dans les récits, les axes de compréhension, tout ce qui est implicite, qui n’est pas dit dans un album. Cela se fait au sein des séances d’apprentissage. A certain moment, il va y avoir aussi des vraies séquences à partir d’un ouvrage.
En maternelle, l’enseignant lit des albums jeunesse, quels sont les bienfaits de la lecture à haute voix ?
La lecture à haute voix peut être très différente en fonction des phases de lecture. Quand on lit un livre toute la classe part en voyage. Je dis souvent aux jeunes enseignants « Il faut faire vivre l’immersion fictionnelle ». Il faut faire vivre toute l’aventure. On va lire le livre, plongé tous ensemble et à la fin on aura fait un voyage. Il faut éviter de découper le texte en tronçons avec trop d’explications afin d’éviter que des enfants fragiles décrochent. Faire des commentaires, oui, mais pas sortir de l’effet fiction. Le but c’est se s’immerger tous ensemble.
Sur des textes nouveaux que l’on va travailler en séquences, on va essayer de ne pas trop interpréter pour que les enfants puissent le faire par eux-mêmes. Si à un moment, je joue un personnage très triste, pour eux ce personnage sera toujours très triste.
À partir de quel âge peut-on mettre un livre entre les mains d’un enfant ?
À la naissance.
Quelle est le rôle des albums jeunesse en maternelle dans l’apprentissage de la lecture ?
C’est une excellente question parce que les livres jeunesse ne sont pas utilisés exclusivement pour l’apprentissage de la lecture ou de la littérature. Beaucoup d’enseignants les utilisent pour d’autres fonctions. Souvent on me demande « Est-ce que vous ne connaitriez pas des livres qui vont parler de l’automne car je voudrais aborder les feuilles d’automne qui tombent ». Ici il y a une fonction scientifique qui n’a rien à avoir avec la compréhension du livre en tant que tel. Pour moi, ce sont des exploitations extérieures de ce que peut être la littérature. Et pourquoi pas ! Il y a des ouvrages qui apprennent à compter, qui apprennent les couleurs, les jours de la semaine comme l’ouvrage « La chenille qui fait des trous » d’ Éric Carle, un livre très connu. (ndlr : éd Mijade)
La littérature a une fonction utilitaire, scientifique et documentaire.
Pour apprendre à lire, il y a une fonction culturelle et des enjeux de la lecture c’est-à-dire un enfant se représente. A quoi sert ces objets-là ? Pourquoi les utilisent-ont ? mais qu’ils en soient conscients. Après, il y a tout l’enjeu dont je parlais tout à l’heure : des séances d’apprentissage de la compréhension parce que ce n’est pas inné de comprendre. Ensuite il y a aussi apprendre à entrer dans l’écrit à partir des livres jeunesse.
Un enfant qui a entendu des livres depuis qu’il est né, le jour où il va raconter, il va parler comme un livre. En CE1/CE2 il va écrire et utiliser des formules qui sont d’une complexité inouïe et qui sont dans un registre écrit élaboré avec un imaginaire développé. Pour déchiffrer, on utilise des fois des titres de livres, des noms de personnages à l’école maternelle pour repérer des sonorités pour entrer dans le principe alphabétique. Les livres permettent cela.
En quoi l’illustration d’un album est-elle importante ? Qu’apporte-t-elle ?
Question intéressante car il y a des enseignants et des chercheurs qui n’ont pas le même point de vue.
Des chercheurs disent que quand on lit un livre aux enfants, il ne faut pas leur montrer les illustrations. Du point de vue de la construction de l’écrit et du langage mental associé à l’écrit, il est important que les enfants aient l’habitude de comprendre l’écrit sans appui visuel. Parce que quand on lit un texte à cet âge-là, le mode de réception ce sont les oreilles. Plus tard ce sera les yeux. Et quand ils seront décodés, les processus cognitifs seront exactement les mêmes c’est-à-dire être capables de faire des images mentales uniquement à partir d’un texte écrit déjà très élaboré dans sa forme. C’est important que les enfants entendent des textes sans voir les images et apprennent à comprendre sans voir les images. Sauf que la définition d’un album jeunesse c’est justement l’interaction entre le texte et l’image.
Il y a des albums où le texte et les images sont redondantes et l’image va être simplement un appui du texte. Mais quand on lit Claude Ponti c’est le contraire. L’image est délirante et le texte apporte autre chose. Et la plupart des bons albums finalement c’est lorsque les deux sont profondément complémentaires comme dans l’album « Bébés chouettes » (ndlr : éd Kaleidoscope )
Dans celui-ci des petites chouettes sont inquiètes car leur maman est partie. Elles disent « Mais peut-être qu’elle s’est fait manger par un renard ». Ce qui est très angoissant et l’image qu’on voit à ce moment-là ce sont des bébés chouettes avec les yeux fermés en train de faire un vœu et de réfléchir. C’est une image très apaisante. Donc en fait les albums sont conçus pour être vus et lus en même temps à voix haute aux enfants.
La définition d’un album c’est d’avoir des informations par le texte, par l’image. Il faut apprendre à comprendre l’un et l’autre mais il va falloir aussi comprendre la conjonction des deux. C’est magique pour l’imaginaire.
Aujourd’hui il y a des podcasts de livres jeunesse (3) . Finalement d’après ce que vous dites, on peut les utiliser ainsi que les albums jeunesse pour développer l’imaginaire de l’enfant. Les deux sont-ils complémentaires ?
Exactement. Et les deux sont absolument essentiels.
Un enfant à qui on lit des livres aura-t-il plus de facilité dans ses études qu’un autre qui n’aura pas eu cette chance ?
Oui, j’en suis persuadé. Pour tous les enjeux que l’on a évoqués déjà.
Je vous remercie Christophe pour cet entretien passionnant et enrichissant.
- Notices et dossiers de Christophe Lécullée
(1) Notices et dossiers de Christophe Lécullée
Ses notices : https://eduscol.education.fr/114/lectures-l-ecole-des-listes-de-reference
Ses dossiers : Les 3 brigands : https://media.ecoledesloisirs.fr/fichiers/Dossier%20pe%CC%81dago%20-%20les%20trois%20brigands.pdf
Le chemin des étoiles : https://media.ecoledesloisirs.fr/fichiers/Dossier%20Le%20chemin%20des%20e%CC%81toiles_V4.pdf
(2) Ouvrage de Christophe Lécullée
(3) Quelques podcasts de livres jeunesse
La maison du podcast de Unique Heritage Media
Plusieurs séries à écouter dont La Bande à Blou, le podcast des années maternelles :
Lis-moi une histoire RTL, podcast présenté par Laurent Marsick en partenariat avec les éditions Albin Michel jeunesse
La grande histoire des éditions BAYARD :
Série audio « Les p’tites aventures »:
LIVRES AUDIO et NUMERIQUES d’éditeurs JEUNESSE :
Dont le livre jeunesse « La sorcière verte a mal au ventre » aux éditions Petite Fripouille
Réseaux sociaux de Christophe Lécullée :
Ses réseaux sociaux :
Mon livre jeunesse coup de cœur : ma première année de maternelle
Je vous recommande cet ouvrage « Mon livre-jeu ma première année de maternelle » de Amy Blay , édition Milan à partir de 3 ans.
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